Les exploits des RS en 1973 : La Targa Florio 1973
2ème partie : la Targa Florio 1973
1.3 La Targa Florio une histoire de famille et de Carbonari :
Vincenzo organisa donc la première Targa Florio en 1906 : il avait 23 ans. Depuis l'origine jusqu'à 1932, la course à été organisée par une équipe resserrée autour de Vincenzo Florio : le "Comitato Panormitan" mentionné ci dessus.
Il était composé de jeunes aristocrates (mais pas uniquement) de bonnes familles (toujours), qui siégeaient au 2 de la rue Catania à Palerme, au rez de chaussé d'un bâtiment appartenant à la famille Florio. Le bâtiment existe encore même s'il est en mauvais état.
Le Comitato était en quelque sorte un gang assez fermé et efficace : discussions quotidiennes (ils avaient le temps !), rien d'écrit la parole étant sacrée. On appelait ses membres les "Carbonari de la Targa Florio". Pour se faire une idée de ce qu'était ce comité, il faut se rappeler que ces jeunes gens ont organisé la première Targa Florio en 1906, deux ans à peine après le désastreux et ravageur Paris - Madrid. Ils ont donc du tout inventer depuis le tracé bien sur, un règlement de course instituant des classes de voitures (type de moteur, cylindrée, poids de l'auto, nombre minimal de production, etc ...). Étant donné son carnet d'adresse où figuraient des noms qui comptaient dans le monde de l'automobile et de la presse, Vincenzo Florio se chargeait quant à lui du marketing de l'événement auprès des grands constructeurs Italiens (Ferrari, Lancia, Alfa Roméo) mais aussi étrangers (Mercedes, Bugatti, entre autres). Il a donc du et pu développer un tissus de relation tant auprès de ces constructeurs, mais aussi des instances internationales du sport automobile, et Dede la presse. Tout était parfait dans le meilleurs des mondes.
Cependant, à un moment donné, la situation de l'empire industriel de la famille Florio n'était plus florissante au point de pouvoir continuer de financer la Targa Florio. Ainsi pour l'édition de 1933 l'organisation de la Targa Florio fut reprise par le Reale Automobile Club d'Italia, dont les bureaux de la section sicilienne (Automobile Club di Palermo) étaient toujours logés chez Vincenzo Florio au 2 de la rue Catania. Vincenzo Florio devait même démissionner de cette organisation, parce qu'il n'approuvait pas les décisions prises : entre autres le fait de transformer la course en une course dans Palerme. Mais le pire était à venir :
- en 1941 les stands et terrains de Floriopolis étaient vendus, avec interdiction faite aux acquéreurs d'y organiser une quelconque course sans l'autorisation express de l’Automobile Club di Palermo.
- fin 1942 Vincenzo devait quitter Palerme pour Rome, afin d'y vivre chez son frère dont la situation financière était tout aussi embarrassante.
- Vincenzo et sa famille, suspectés par la Gestapo de collusion avec l'ennemi, échappèrent de peu au massacre des Fosses Adréatines où 355 otages furent fusillés en avril 1944.
- pendant la dernière guerre, les installations de Floriopolis avaient été occupées d'abord par les allemands puis par les troupes américaines. A la fin de la guerre elles étaient en ruines.
Après la guerre en 1947, Vicenzo Florio avait 64 ans et était retourné vivre à Palerme et y vivait plus modestement. Mais il y avait à Palerme une conjonction de vétérans de la Targa Florio et de jeunes gens qui ne rêvaient que de s'engager à une Targa Florio renaissante, ou participer à son organisation : parmi eux Raimondo Lanza di Trabia (un neveu de Vincenzo Florio), et un de ses amis Stefano La Motta. Le principal problème à surmonter était le fait que les installations de Floriopolis avaient été vendues avec la clause mentionnée ci dessus. C'est pourquoi Raimondo Lanza di Trabia et Stefano La Motta élaborèrent un projet de Targa Florio sous la forme d'un tour de Sicile, qui fut d'abord approuvé par Vicenzo Florio et ensuite par le nouveau gouvernement provincial de Sicile.
Dans la foulée une organisation chapeautant la course fut crée sous la forme du "Comitato Sportivo Motorisco Siciliano", qui s'installa dans un des bureaux du Teatro Politeama :
La première course eut lieu les 3 et 4 avril 1948, sur le tracé du tour de Sicile de 1931, mais en sens inverse, avec un départ depuis Palerme, et la participation des grandes marques italiennes. Ce fut un succès.
Mais inutile de dire que l'entente entre le "Comitato Sportivo Motorisco Siciliano" et les instances automobiles italiennes (le CSAI) n'était pas au beau fixe. Partant du principe que d'une manière générale il vaut mieux demander pardon que permission, Raimondo Lanza di Trabia et Stefano La Motta décidèrent de créer un organisme autonome chargé d'organiser toutes les compétitions automobiles en Sicile : la 'Commissione Sportiva Automobilistica Siciliana (CSAS) rien de moins ! Lors d'une réunion Vicenzo Florio fut élu à l'unanimité Président de l'organisation, mais il déclina le poste, le laissant à son neveu Raimondo. Dans la foulée le CSAS organisa le Giro Di Sicilia / Targa Florio en 1949. Dans un discours de la réception de fin d'épreuve dans un hôtel à Palerme, Vincenzo Florio s'était félicité du succès du Giro qui venait de s'achever, mais déclara aussi qu'il était temps à présent que la Targa Florio revienne dans les Madonies .... L'affaire devait cependant en rester là pour 1950, et le CSAS organisa un troisième Giro di Sicilia.
A l'automne 1950, une réunion eut lieu entre le CSAS et l'Automobile club de Sicile afin d'approuver le planning des courses de 1951. Lors de cette réunion Vincenzo Florio adressa le sujet du retour de la Targa Florio sur son terrain d'origine. Les présents approuvèrent et transférèrent le sujet à Rome. Le CSAI prit un peu de temps, mais accepta le programme proposé, et donc d'une Targa Florio courue dans les Madonies. Restait à mettre une organisation en place et a récupérer les terrains de Floriopolis :
- Après de longues négociations menées par James Tagliavia les terrains furent rachetés,
- l'organisation de la Targa Florio fut confiée à une nouvelle société indépendante, la Societa Incremento Attivita Sportive Turistiche Siciliane : SIASTS. Cette organisation avait bien évidemment un air de le "Comito Panormitan" d'avant guerre, mais cette fois il n'y avait que deux partenaires : Vincenzo Florio et James Tagliavia.
Le directeur général de la société était Giovanni Marasa, un avocat fraichement embarqué dans l'aventure de la Targa Florio, et sans passé de compétition automobile. Le comité d'organisation de la Targa Florio comprenait :
- un directeur de Course : Vincenzo Florio
- des inspecteurs, dont Corrado Dirkes, un allemand vétéran de la Targa Florio,
- un directeur des relations presse : Vincenzo Gargotta, un journaliste italien également vétéran de la Targa Florio
- des "techniciens" (?) comme : James Tagliavia, Giovani Canestrini, Prince Girolamo Vannuci di Petrulla et le conte Giuseppe Lanza di Mazzarino
Il avait élu domicile dans deux pièces du domicile de Vincenzo Florio à Palerme, au 33 Via Principe di Belmonte, à l'angle de Piazza Ignazio Florio. Le bâtiment, toujours là, c'est un hôtel à présent (Hôtel Florio) : voir la photo ci dessous :
Il restait aussi un détail à régler : l'engagement des pilotes pour la Targa Florio qui devait se courir le 9 septembre 1951. Vincenzo Florio vint assister au Gran Premio de Pergusa (le circuit autour d'un lac situé près d'Enna Pergusa à une centaine de kilomètre de Floriopolis, que certains d'entre nous sont allés reconnaitre) pour rencontrer les principaux directeurs de course et pilotes qui y participaient pour les inciter à s'engager ensuite sur la Targa Florio. 23 voitures y étaient engagées : ils y avait donc des clients potentiels.... Il y eu un sujet de taille à régler: les primes de départ. N'en n'ayant jamais accordé, il y eut un bras de fer entre certains pilotes (dont le plus virulent fut Franco Cortese, qui avait même organisé une pétition !) et Vicenzo Florio. Ce dernier ne céda pas au motif que les primes d'arrivée étaient conséquentes ce qui était vrai. En fin de compte, l'édition de 1951 fut un succès avec 25 autos au départ dont 9 Ferraris ! Vincenzo Florio fut heureux d'en donner le départ, drapeau à damier en main, un peu à la manière de Toto Roche au grand prix de France à Reims. Il avait alors 68 ans et sa Targa Florio venait de renaître dans sa formule d'avant guerre et sur ses terres. Il en fut de même pour l'édition de 1952 : 45 autos au départ et des primes à l'arrivée augmentées, parce qu'à nouveau certains pilotes exigeaient une prime de départ : 3 millions de lire pour le premier, 2 pour le second, 1 pour le troisième, allant en décroissant et régressant jusqu'au 10ème.
Malgré ces succès Vicenzo Florio pensait que sa course méritait mieux : l'inscription au Championnat du Monde des Marques. Ce championnat avait été créée en 1953. Chaque pays y avait sa course : les Mille Miles pour l'Italie, la Carrera Panamericana pour le Mexique, les 24 heures du Mans pour la France, les 1000 km du Nürburgring pour l'Allemagne, le Tourist Trophy pour le Royaume Uni, les 1000 km de Buenos Aires pour l'Argentine, et les 12 Heures de Sebring pour les USA. Le succès de ce championnat fut immédiat. Ferrari gagna les deux premières éditions. Vincenzo Florio pensait que sa course méritait d'y être inscrite. Mais la CSI (Commission Sportive Internationale) qui dépendait de la FIA (Fédération Internationale de l'Automobile) n'autorisait qu'une course par pays. Il fallait donc faire une exception pour la Targa Florio.
Il se trouvait que le président de la FIA était Augustin Pérouse, un ami de Vincenzo Florio : une amitié qui remontait du temps de la Targa Florio avant guerre. Augustin Pérouse n'était pas contre et conseilla à Vincenzo Florio de faire une demande officielle par l'entremise de la Commission Sportive Italienne (CSAI), ce qui fut fait. Mais il se trouva que peu de temps auparavant l'Automobile Club de Sicile transmit un dossier à la même CSAI pour le Giro di Sicilia !. Cette demande ne fut pas acceptée par la CSAI, qui finit par soumettre la Targa Florio à la CSI. La CSI accepta d'inscrire la Targa Florio au Championnat des Marques, et ce d'autant plus que l'organisation de la Carrera Mexicana avait déclaré forfait pour des raisons financières. Une fois encore Vicenzo Florio avait donc gagné sa bataille : la Targa Florio était la dernière course inscrite au calendrier 1955. Elle eut lieu le 16 octobre 1955. Pour se conformer à la règlementation de la CSI la Targa Florio devait faire au minimum 1000km. Elle fut donc prévue sur 14 tours (cad 1008 km), beaucoup plus que les éditions précédentes qui se courrait sur 7 ou 8 tours. A la demande générale des compétiteurs engagés, la longueur fut réduite à 13 tours (936 km).
Deux événements tragiques s'abattirent ensuite sur Vincenzo Florio. D'abord à la fin de 1954 son neveu Raimondo Lanza di Trabia, qui était une des chevilles ouvrières autour de lui se suicida. Son oncle en était inconsolable. Ensuite alors qu'il travaillait d'arrache pied à l'organisation de la Targa Florio, la CSI décréta que la Targa Florio ne ferait plus partie du Championnat du Monde des Marques. Cette année là la Targa Florio fut quand même organisée le 10 juin 1956, c'est à dire en même temps que les 1000 km de Montlhéry .... . Ce fut du reste la première victoire de Porsche à la Targa Florio.
L'année suivante fut pire encore : le 12 mai 1957 de Portago et son copilote se tuèrent lors des Mille Miles, en emportant au passage 10 spectateurs dont 5 enfants (https://www.youtube.com/watch?v=5bAbt20Wabc). Suite à ce tragique accident, le gouvernement italien interdit les course sur routes : les Mille Milia en premier lieu, mais aussi la Targa Florio. Pour sauver sa course Vincenzo Florio la transforma en course de régularité : l'édition de 1957, courue le 24 novembre, fut ainsi gagnée par une Fiat 600 !
1959 fut meilleure. En effet le 3 février 1958 se tint une réunion interministérielle, créée pour superviser les courses automobiles en Italie, pour statuer sur la sécurité de la Targa Florio. Après mure réflexion, les ronds de cuir décidèrent que la course était en fin de compte sûre, car après tout avec ses nombreux virages elle était la plus lente de toutes. Ce qui n'était pas faux en soit, et en foi de quoi la course fut de nouveau autorisée. La commission sportive italienne (CSASI) soumit le cas à la CSI pour son admission au Championnat du Monde des Marques, ce qu'elle approuva et la Targa Florio fut inscrite au calendrier du championnat le 11 mai suivant. Vincenzo Florio en fut très ému, il venait d'avoir 76 ans. Fatigué mais encore assez vaillant, il vint donner le départ de la 42ème Targa Florio, qui avait retrouvé son lustre d'antan.
Peu de temps après la course, Vincenzo Florio quitta Palerme pour des vacances bien méritées. Ils les prenaient souvent en France. Qui était après tout à l'origine de la Targa Florio et surtout son épouse Donna Lucia (née Lucie Henry) était originaire d'Epernay. Il mourut le 9 janvier 1959, dans une clinique d'Epernay, où il avait été admis pour des problèmes cardiaques. Sur son lit de mort, il fit jurer à son petit fils, Vicenzo Paladino, que la Targa Florio n'allait pas disparaitre après son décès: Paladino jura.
Et de fait, peu de temps après son décès une réunion fut tenue entre son petit fils et James Tagliavia, qui était donc le seul partenaire survivant de la société organisatrice de la Targa Florio (la SIASTS) et le reste des membres de l'organisation de la Targa Florio. Le but de la réunion fut d'élire les nouveaux membres de l'organisation. Le nouveau président nommé fut Donna Lucia, l'épouse de Vincenzo Florio, qui accepta ce poste, flanquée de deux vice présidents : James Tagliavia et Vincenzo Paladino. Il n'y eu pas d'autres changement dans l'organisation de la SIASTS, à part le remplacement de Corrado Dirkes lui aussi décédé. Les bureaux de la compagnie restèrent au domicile de Donna Lucia.
Après les éditions de 1959 et de 1960, il devint de plus en plus évident qu'une structure quasi familiale ne pouvait plus chapeauter une course comme la Targa Florio. Il fut alors décidé de transférer la SIASTS au sein de l'Automobile Club de Palerme (en fait sa commission sportive la CSAI), sous l'égide de l'Automobile Club d'Italie (ACI) et avec le support financier du département du tourisme du gouvernement régional de Sicile. Le siège de l'entité en charge de la course quitta l'appartement de Donna Lucia pour s'installer dans les bureaux de l'automobile club de Sicile. Prudemment l'essentiel des collaborateurs de Vincenzo Florio restèrent à bord de la nouvelle entité.
Cette organisation resta en place jusqu'à la fin de la Targa Florio, et en particulier lors de l'édition de 1973. Elle était présente sur les batiment de Floriopolis, comme on le voit sur cette photo qui date de 1963 :
Retour à la page précédente
Commentaires:
Comments are closed.
c est du lourd!
philippe
Le document est détaillé, intéressant et l'auteur a fait des recherches approfondies.
La Targa Florio illustre l'époque où les pilotes étaient des dieux et où l'automobile faisait rêver.
Votre travail est remarquable: un grand merci.
Jacques Ubags Liège